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Almanach Paroissial de Fégréac - 1934 Cette année 1535, François 1er étant roi de
France, Antoine de Créqui, évêque de Nantes, le jeune
escuyer Jean Le Long, seigneur du Dréneuc et de la
Mourauldaye, avait atteint sa dix-huitième année.
Conformément aux droits et aux traditions de ses
ancêtres et répondant aux désirs des jeunes garçons
de la paroisse, il voulut lancer la soule le jour de
Saint Etienne, après la grand'messe. La veille, à la
sortie de la grand'messe de Noël, maître Guillaume des
Landes, Sénéchal, debout au pied d la Croix du
Cimetière, avait fait le ban de la "Soule" et
les jeunes hommes de toutes les frairies s'étaient
donné rendez-vous à la grand'messe de Saint Etienne. Ce jour-là, un vent glacial souffle de la
Galerne ; il court sur les landes, courbant la bruyère
et faisant gémir les sapins, il se précipite sur les
marais glacés. Les chemins durcis par la gelée gardent
l'empreinte des pas de vaches et de moutons. Les jeunes
gens alertes et joyeux, se réunissent par village et ils
se rassemblent par frairie dans le chemin du bourg. leur
costume comprend : un bonnet de laine dont la touffe
retombe sur l'épaule gauche, un gilet de serge, une
culotte de laine jaune, des guêtres et des sabots
ferrés qui résonnent sur la route. Les bandes rieuses
marchent rapidement, car depuis quelques instants déjà
la cloche de l'église lance les appels de sa voix claire
par dessus les collines et les vallées. De tous cotés,
les paroissiens arrivent à la messe. La grand'messe est chantée par le vénérable
prieur, noble et discret messire Guillaume Le Coustellier
de Penhouet. Dans le choeur sont présents les prêtres
et les vicaires de la paroisse, les chapelains de
Henrieux et de Saint-Armel, vénérables et discrets
messires : doms Jean Denis, Noël Balac, Jean Seillé,
Pierre Guiho, Noël Guihéneuf, Jean Guiho, Michel
Collard, Julien Guiho, Denis Biguet, Jean Quellard,
Michel Robert, Pierre Poulain. Tout le monde chante, tout
le monde prie dans l'église. A la sortie de la grand-messe, les jeunes gens,
au nombre d'une centaine, se rangent par frairie et
choisissent leur chef. Les frairiens de Saint Sébastien
ou du bourg choisissent pour chef Jean Rosier, les
frairiens de Trouhel choisissent Pierre Poulain de la
Landelle, ceux des Abbayes, Julien Héron de la Haute-Abbaye,
ceux de Saint Michel, Etienne Guiho de la Vieille Ville,
lesquels forment le premier camp. Les Frairiens de Saint
Gaudence nomment pour chef Yves Bocquel de Coisnauté,
ceux de Saint-Armel, Gilles Guiho de Bézy, ceux de la
Madeleine Mathurin Menand de Fonguéra, lesquels forment
le deuxième camp. Le premier camp prend pour capitaine
Jean Priou de la Ponnais, surnommé Coupevent, à cause
de son agilité : il prend les lapins et les lièvres à
la course. Le deuxième camp choisit pour capitaine
Pierre Rochedreux, de la Rivière, renommé pour sa force
: celui-ci, armé de son bâton de chêne, avait étendu
mort un loup qui l'avait attaqué un soir dans la bande
de Maurue. Maître Guillaume des Landes indique les
conditions du jeu. Le champ de la soule comprend le
territoire des sept frairies. Tous les joueurs peuvent
pousser et lancer la soule avec les pieds. Les chefs
seuls peuvent la lancer avec les mains. Sera vainqueur le
camp qui aura fait entrer la soule dans une des maisons
de ses frairies. Le jeune seigneur du Dréneuc est accompagné de
sa mère, noble dame Perrine Le Coustelier, et de ses
soeurs, demoiselles Marguerite et Charlotte. Messire le
Prieur recommande la prudence aux jeunes gens, car
maître Pierre Amice, chirurgien, déclare
sentencieusement qu'il veut attendre les vêpres dans le
bourg, bien persuadé qu'il aura à remettre bras et
jambes à plusieurs de ces imprudents qui le regardent en
souriant. Aux applaudissements de l'assistance, la soule
toute neuve est apportée par les derniers mariés avant
la fête de Noël : Guillaume Eslan, de Trouhel et
Michelle Motreuil, de Balac, qui viennent gracieusement
la remettre au seigneur du Dréneuc. La peau de la soule est une peau de Bélier
tannée par Vincent Robert, Tanneur de Rasette ; le son
pour la remplir a été donné par Jean Le Vent, meunier
du moulin de la Brousse ; elle a été cousue par Jean
Menand, couturier de Barrisset. Jean Coupevent la mesure
des yeux et la trouve plus grosse que sa tête. Au signal donné par Messire le Prieur, le jeune
escuyer, d'un vigoureux coup de poing, lance la soule
dans les airs. Le jeu est commencé. Les cris retentissent et, aussitôt, les joueurs,
les yeux attentifs les poings fermés, le corps tendu,
suivent ou attendent la soule. Bientôt les cris cessent,
on n'entend plus que les appels des chefs, les
coups secs donnés au ballon et les galopades des joueurs.
Par trois fois, le ballon bondit et passe sur le toit
modeste de l'église. Mais les chefs ont leur idée et se
multiplient partout. Le premier camp veut entraîner la
soule vers l'Hôtel es Denis ou la Danoterie pour entrer
dans ses frairies, tandis que le deuxième camp veut l'entraîner
vers la Préverie. Sur la place, une mêlée générale se produit
; la soule est immobile entre les pieds des joueurs ; le
jeune Barnabé Quélard, du Gras, se glisse dans le
groupe, la dégage et la pousse vigoureusement vers la
Préverie. Le deuxième camp prend immédiatement la
tête. Jean Coupevent a pris les devants et il ramène la
soule sur le petit étang de la Préverie qui est tout
glacé. Là, une seconde mêlée se produit, et , au plus
fort de la mêlée, un craquement se fait entendre.
Malheur ! Le capitaine du premier camp, Jean Coupevent,
est enfoncé dans la glace jusqu'aux épaules. Un immense
éclat de rire retentit, mais Pierre Rochedreux pousse
vigoureusement le ballon qui monte sur la butte de la
Préverie et roule rapidement dans le vallon qui aboutit
au ruisseau de Trégonnet. Dans ce vallon les deux
équipes se retrouvent au complet et la lutte recommence
plus acharnée que jamais, Jean Priou voulant diriger le
ballon à gauche vers Trenneban ou à droite, vers
Villeberthe. Par quatre fois, la soule monte la colline
de Lourmel entre le moulin de la Brousse et les landes
des Ecobuts. La sueur coule de tous les fronts, mais on n'entend
aucun blasphème, aucun cri de colère. Julien Allain de
la Brousse et Guillaume Brunel, de la Catée, sont
restés au pied de la Croix de Lourmel, attendant le
résultat de la mêlée engagée dans la vallée, lorsque
tout à coup la soule, vigoureusement lancée, apparaît
à leur portée. S'en emparer est l'affaire d'un instant
et, avec toute la rapidité dont ils sont capables, ils
poussent le ballon qui roule sur la lande du Tertre jusqu'au
ruisseau de la Brousse. Les camps sont de nouveau
reformés. Des hauteurs de la Brousse, Messire François
Le Coustellier, seigneur du Broussay, Penhouet et la
Brousse, et sa compagne, noble damoiselle Jeanne de Lymur,
regardent avec Admiration les jeunes gens descendre le
tertre. Pierre Rochedreux donne l'ordre à son camp de
pousser la soule dans l'allée de la Brousse pour
remporter la victoire à la métairie ou à la maison du
Seigneur. Jean Priou a déjà tout prévu et une partie
de son camp barre l'allée. La soule passe donc au bas du
grand domaine et roule furieusement vers Nappes. Au
chemin de ce village, les chefs du deuxième camp
provoquent subitement une attaque ; la soule est dirigée
vers le village, elle entre dans la rue et Guillaume
Dezel, du Thénot, d'un vigoureux coup de pied, lance la
soule dans la maison de Jean Routin. Le ballon passe sur
l'hussel, tombe sur la mée bondit sur le lit et
redescend tranquillement dans une gède posée sur le
coin du foyer. La mère Matheline Routin, épouvantée,
fait son signe de croix ; elle ouvre son hussel et voit
la rue pleine de jeunes gens ; ceux du deuxième camp
chantaient leur victoire en criant : "Noël ! Noël
! Pierre Rochedreux demanda à la mère Routin des
habits de son fils Jean pour remplacer les vêtements de
jean Coupevent qui étaient tout fumants, et la bonne
mère Routin les donna très charitablement. Le Seigneur
de la Brousse envoya abondamment du pain, du beurre et
des cruches de vin pour le dîner de tous les jeunes gens.
Ceux-ci prirent joyeusement leur repas, logés dans les
quatre maisons du village : chez le meunier Jean Le Vent,
chez Georges Lorier, Jean Routin et Jacques Monnier.
Après le repas , les jeunes gens reprirent le chemin du
bourg pour assister aux vêpres. Le dimanche suivant, le seigneur du Dréneuc
récompensa les vainqueurs : le camp victorieux reçut un
mouton gras sorti de la bergerie de Mathieu Robinard,
métayer de la Porte du Dréneuc ; les chefs reçurent un
arc et le capitaine une lance toute neuve. |
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